Avec un titre pareil, vous vous doutez bien que je ne vais pas parler de littérature, ou si peu. Cela risque d’être un peu long.
Hier une de mes amies sur Facebook s’est étonnée de ma nouvelle coiffure. Mais que sont donc devenus tes longs cheveux ? m’a-t-elle demandé en substance.

Il m’est arrivé des bricoles, lui ai-je répondu.
En fait, je me doutais depuis déjà un moment qu’il allait falloir que j’en parle, de ces « bricoles ». Parce que la Dominique Lémuri de ce site, celle au dos de mon bouquin, c’est celle d’avant.
Nous sommes en octobre, le mois où on parle de la prévention du cancer du sein. Vu ce qui m’est arrivé entre mai 2019 et maintenant, j’ai décidé de sortir du bois.
J’ai 56 ans depuis hier, un âge qui ne me faisait pas rêver quand j’avais l’âge de Clara, l’héroïne de mon roman…
Mais ce n’est pas si mal, comme âge. Cette année, j’ai vu mon premier roman publié, mon fils le plus jeune passer un drôle de bac, avoir 18 ans et rentrer à l’Université, mon cadet obtenir un CDI dans son métier et dans une région superbe, je suis allée en vacances en Bretagne et mon fils ainé a pu venir une semaine avec nous : j’ai entre autres gourmandises dégusté un magnifique plateau de fruits de mer à Etel, visité le château de Combourg où Chateaubriand a passé ses jeunes années, et celui de Fort la Latte où on a tourné les Vikings avec Tony Curtis et Kirk Douglas, j’ai contemplé l’océan à la pointe du Raz, respiré à grands traits l’air du large. Adoré ma vie.
Je n’aurais pas pu profiter de tout ça si, un 15 mai 2019, on ne m’avait pas détecté une tumeur lors d’une mammographie de routine orchestrée par l’ARDOC, l’organisme chargé du dépistage organisé des cancers. Juste avant de partir pour les Imaginales, une fête annuelle joyeuse et pleine de projets d’habitude pour moi.
Le médecin, une femme géniale qui me suit depuis longtemps, m’a dit : « C’est pris à temps, vous allez vous en sortir ». Et aussi en me voyant au bord des larmes « Vous savez, si on dépiste, c’est à ça que ça sert ! A trouver le plus tôt possible. Cela va aller, ce n’est pas gros ». J’ai pleuré un bon coup, en annonçant ça à mon mari, et puis la haine contre le cancer m’a envahie. Je « lui » ai dit : « Je vais te fumer, connard. Tu ne sais pas à qui tu t’attaques. Je vais te réduire en cendres et je danserai dessus quand j’en aurai fini avec toi » Je lui ai donné un nom de dictateur, parti à la conquête de ma santé. Désolée pour le point Godwin, mais son petit nom, c’est Adolf. Le prénom d’un des pires salauds de l’histoire moderne. Facile à haïr, Adolf.
Biopsie. Confirmation du diagnostic : cancer du sein, stade 2, plus une série de lettres et de chiffres qui voulaient dire que ce n’était pas un truc qui allait me tuer en quelques mois. J’avais heureusement affaire à un Adolf fainéant.
« C’est pris à temps, vous allez vous en sortir »
Je me suis récité ces deux phrases comme un mantra durant des semaines, redécouvert les vertus de la méditation, appelé quelques amis, expliqué ça à mes enfants (pas le moment le plus facile, je ne vous le cacherai pas).
Je n’ai pas voulu en dire plus et arroser l’ensemble de ma famille et des copains pour préserver mes proches, éviter la série des appels affolés de tous mes cousins, fort nombreux et que je vois rarement. J’espère que s’ils lisent ces lignes ils ne m’en voudront pas d’avoir traversé cette épreuve sans leur aide. J’étais très entourée déjà et souhaitait rester aussi zen que possible. Zen et combative.
Comprenez que c’est très dur pour un malade du cancer d’avoir à gérer l’inquiétude des autres en plus de la sienne propre. C’est même impossible. Une des mes amies, passée par un cancer méchant et guérie depuis des années, m’a conseillée, pragmatique : « Il faut qu’ils se démerdent avec leur peur, tu as assez à faire. Maintenant, c’est toi d’abord ». Merci encore, chère Anna, pour ce conseil salutaire. J’ai gardé mes forces mentales pour moi.
Opération, conservatrice, par un orfèvre tueur de cancer (merci encore, docteur), suivi de trois semaines d’attente pour le résultat de la biopsie. Méditation, jeu de rôle en famille, tout pour penser à autre chose. Résultat le 2 juillet : Adolf était un poil plus méchant qu’analysé initialement et surtout avait touché 3 ganglions lymphatiques. Il pouvait avoir déjà essaimé ailleurs…
- les os ;
- le foie ;
- les poumons ;
- la peau ;
- la moelle osseuse ;
- le cerveau.
17 juillet : TEP scan pour déterminer si oui ou non cette saleté avait touché d’autres organes : NON. Le reste de mon corps était clean. Ouf. Là, j’en ai pleuré de soulagement. MERCI AUX CAMPAGNES DE PREVENTION !
Alors, on m’a proposé un protocole de soin, rodé, que j’ai suivi avec stoïcisme.
Chimiothérapie. Parce que même si on ne voit rien à l’examen, des cellules vicieuses étaient peut-être en train de se planquer quelque part, attendant leur heure. Alors, je suis allée les passer au lance-flammes, comme Ellen Ripley contre les aliens. « Nuke the entire site from orbit ».
Bye Bye mes longs cheveux bouclés, ceux de la photo sur mon livre, sur mon site. Ces photos sont un souvenir désormais. J’ai mis trois semaines à accepter le fait que ma crinière soigneusement entretenue depuis mon enfance allait tomber. J’ai fait couper court d’abord, juste avant la première injection, et trois semaines après, mon mari a pris la tondeuse pour dégager les pauvres filaments morts qui pendouillaient autour de ma tête me donnant une tête de veuve Capet avant la guillotine. Hop, me voilà relookéee façon Ripley d’Alien 3. Mieux déjà.
Bon, le style punk, ça a son charme. En fait, on a fini par en rigoler avec mes garçons. Et puis durant la canicule de l’été 2019, l’absence de cheveux était une bénédiction, ainsi que la douche tiède depuis le milieu du crâne nu jusqu’à la base de la nuque. Mmmm. Les chauves voient de quoi je parle.
J’ai passé les cinquièmes Aventuriales avec des perruques rigolotes ou un foulard bleu marine. J’étais debout et souriante (vérifiez les photos). Ma troisième cure avait lieu le lundi qui suivait. J’ai pu les décaler parfois pour me permettre de profiter d’événements importants, comme les 50 ans de mes amis Jeff et Cécile.
Et quelques semaines plus tard, je prenais le train pour aller voir Hozier à l’Olympia, toute seule. Oui, j’ai continué à vivre.
« Il faut vivre aussi normalement que possible » m’avait dit l’oncologue, alors c’est ce que j’ai fait. Bon, je ne vous cacherai pas qu’au bout de 3 ou 4 cures, ça commençait à tirer sévèrement. La fatigue était pesante, les effets secondaires étranges et irréguliers. Les dernières semaines, je les ai passées sagement à la maison. J’ai arrêté les répétitions de musique pour éviter les contacts et les virus en circulation, un moindre rhume me mettait à genoux. Mais j’ai travaillé sur les corrections éditoriales de mon roman à chaque fois que je me relevais du plongeon d’épuisement que je subissais. Il a fallu 6 cures. Et je ressens encore aujourd’hui des effets sur mon corps. Puissants, les produits de chimio. « Adolf, tu as pris cher. Et là, pas calmé ? » Je l’ai fumé en mode « Massacre à la tronçonneuse », mais j’ai pris cher aussi.
Mes enfants, mon mari m’ont chouchoutée, en particulier pour s’assurer que malgré le dégoût que j’ai eu parfois pour la nourriture, des aliments sains serait sur la table. Mes fils ont fait la popotte souvent, de la cuisine italienne préparée avec amour. Fin de la chimio un mois avant Noël. Champagne !
Radiothérapie, 33 séances. La dernière semaine, ma peau sous l’aisselle cuisait malgré les crèmes cicatrisantes, a fini par peler. Et a cicatrisé, hein, pas la peine d’en faire un drame.
Fin des gros traitements fin janvier 2020.
Ouf. « On se revoit dans 6 mois pour la mammographie de contrôle ». Je l’ai passée, et tout va bien. « On se revoit dans un an, maintenant ».
Et depuis : Hormonothérapie, un petit comprimé par jour, avec sa kyrielle d’effets secondaires, en particulier les douleurs musculaires et articulaires qui me donnent une allure de vieillarde chenue quand je me lève le matin, la prise de poids, que je limite à coup de yoga, Pilates et autres activités, et autres joyeusetés neuropathiques. Mais. C’est un traitement anti-récidive que je respecte scrupuleusement avec l’aide de mon kiné et de mon généraliste. Petit à petit, je limite les effets secondaires, j’apprends à vivre avec, à les dégager de ma vie eux aussi, à faire en sorte qu’ils ne pèsent pas sur mon mental.
Non, les traitements du cancer ne sont pas marrants, c’est fatiguant, ça laisse des traces. J’espérais écraser Adolf sous ma botte et retrouver ma vie d’avant, mais sa menace est toujours là. Chaque matin quand je prends mon anti-aromatase, je pense à lui. J’en ai pour 7 à 10 ans. La récidive est toujours possible. Je porte toujours ma chambre implantable sous la clavicule, ce dispositif médical qui permet d’administrer la chimiothérapie sans brûler les tissus (oui oui, c’est très puissant, la chimio). Quand j’ai demandé pourquoi on ne me l’enlevait pas tout de suite, l’oncologue m’a regardée d’un air un poil gêné : « On préfère attendre un peu, dix-huit mois ou deux ans ». Oui, je pourrais bien récidiver. Il faut vivre avec la menace.
Mais. Je suis toujours là. Et je connais des tas de femmes qui ont eu un cancer du sein et qui n’ont jamais récidivé. Ma voisine d’en face, ma copine ancienne collègue de boulot, une des voisines de ma mère, l’épouse d’un de mes amis. Plein. On sait les soigner maintenant. Ce n’est plus comme il y a quarante ans, où on les détectait trop tard. Et vous savez quoi ? Je n’ai plus autant peur qu’avant, parce que j’y suis passée. Comme le dit la Ligue contre le Cancer : les traitements doivent être raisonnablement supportables. Pour moi, pour le protocole que j’ai suivi, ils ont été raisonnablement supportables.
Je sais que dans mon malheur j’ai eu de la chance. Si. Mon cancer était d’une nature pas agressive, pris à temps, j’ai eu affaire à des équipes médicales de pointe, je vis à 15 minutes d’un Centre de lutte contre le cancer. J’ai rencontré des personnes formidables durant cette épreuve, humaines, depuis les secrétaires jusqu’aux médecins, en passant par les infirmières et infirmiers, aide-soignants et aide-soignantes, manipulateurs en radiothérapie. J’ai été soutenue par Magali, de l’Espace de Rencontre et d’Information du Centre Jean Perrin, par Isabella, qui anime les séances de Pilates en sport adapté, par Alexandra, onco-esthéticienne, avec qui j’ai parlé SF, voyage, et beaucoup rigolé. Elle m’a chouchoutée et offert les meilleurs conseils de soin dermatologiques (en particulier le soin des ongles) de tout mon traitement. J’ai eu de la chance de bénéficier de tout ça, qui sont des soins de support financés par la Ligue. J’ai rencontré d’anciennes malades qui participent à une initiative géniale, https://www.facebook.com/Des-filles-au-sommet-1633515920257155/. Voilà ce que j’ai vécu l’an dernier, sur environ 8 mois, avec le soutien sans faille de ma famille et de mes amis. Je retrouve mon tonus et j’ai gardé ma joie de vivre, ma combativité, je fais des projets, j’arrose des victoires.
Tout ça parce que je suis allée me faire dépister quand on m’a conseillé de le faire. Je ne serais peut-être pas déjà morte aujourd’hui si je ne l’avais pas fait. Mais j’aurais sûrement perdu des chances de retrouver la santé comme je l’ai aujourd’hui. Des organes vitaux seraient sûrement touchés. Je serais peut-être en train de me battre encore, et de voir mes forces s’épuiser.
Alors à mes amies qui reçoivent des invitations dans leur boite aux lettres pour se rendre au dépistage du cancer du sein, et qui m’avouent « Oh non. Je préfère ne pas savoir, ça me terrifie », je dis : Il faut y aller parce que c’est normal d’avoir peur, mais il existe aujourd’hui un arsenal thérapeutique de pointe, et plus tôt un cancer est détecté, plus vite on lui écrase sa sale tronche. Ce n’est pas une partie de plaisir, mais cela en vaut la peine, non ? Je l’ai fait, vous y arriverez aussi.
« Ma pauvre dame, si vous saviez comme ce que vous avez est banal »… ai-je entendu…
Je voudrais profiter de ce billet pour remercier les équipes soignantes du Centre Jean Perrin, et toutes les personnes qui y travaillent et font que les guérisons sont possibles, mais aussi les personnes au pouvoir qui ont décidé un jour qu’il faudrait systématiquement contacter les Françaises à partir de 50 ans pour les encourager à aller se faire dépister. Maintenant, s’il vous plait, occupez-vous de vous demander si la pollution atmosphérique, celle de l’eau, les additifs dans les produits de consommation courantes, les pesticides dans les champs ne sont pas pour quelque chose dans le nombre de cas de cancers que l’on détecte chaque année, et faites ce qu’il faut pour limiter cette casse.
Juste quelques chiffres pour finir : en 2018 le cancer du sein a touché 58459 femmes en France métropolitaine et en a tué 12146 (source https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/cancers/cancer-du-sein)
Seulement 50,3 % ont été dépistées dans le cadre du dépistage organisé, ce qui veut dire que (hypothèse sympa) les femmes s’examinent régulièrement et consultent dès qu’elles ont un doute, ou que (hypothèse pas sympa) elles ont attendu d’avoir des symptômes chelous pour le faire. Moi je n’avais aucun symptôme si ce n’est la peau légèrement plissée à un endroit du sein, une vague boule en dessous que j’avais pas remarquée avant qu’on me la désigne. Adolf, en mode sournois.
Allez vous faire dépister, ça sauve des vies. Cela a sauvé la mienne.
Pour finir, je vous propose une initiative à soutenir : un peu de couture pour Octobre rose ? Il s’agit de coudre des coussins en forme de cœur sur un modèle précis, très précieux pour protéger le sein opéré le temps de la cicatrisation. A Jean Perrin, ils en manquent, le confinement ayant fermé les ateliers de couture bénévoles qui les fournissaient d’habitude.
https://www.cjp.fr/a-la-une/actualites/actualite/octobre-en-rose-2020
Vous trouverez patron et tutoriel ici. De plus, si vous n’avez pas de machine à coudre, le magasin Mondial Tissu vous propose de faire un coussin au magasin et ils fournissent le matériel gratuitement : https://www.mondialtissus.fr/octobre-rose-2020?utm_source=campain&utm_medium=email&utm_campaign=2020-10-01-couture-Solidaire-Octobre_Rose
Voilà, évitez la Covid-19, portez un masque, tout ça, mais ALLEZ AU DEPISTAGE BON SANG !
(et il y a 500 cas par an de cancer du sein chez l’homme. Palpez-vous aussi, les gars. Et novembre, c’est votre tour : on parlera des cancers spécifiquement masculin.)
PS : c’est du cancer qu’il faut avoir peur, pas des traitements. On les prend les uns après les autres, et ça passe.
Edit : j’ai oublié de citer l’excellent blog Tchao Günther de l’autrice de BD Lili Sohn qui m’a beaucoup aidée à garder le moral par son ton décapant et son optimisme guerrier : https://tchaogunther.com/
(ce blog a donné naissance à trois tomes de « la guerre des tétons » où l’autrice raconte comment elle a éradiqué Günther, détecté alors qu’elle n’avait pas 30 ans)
Merci pour ce témoignage tellement authentique et concret, Dominique !
Il y a tellement d’amour et d’énergie dans ta famille et en toi qu’Adolf n’avait aucune chance.
Je sais que c’est facile à dire, a posteriori, mais j’en suis convaincue.
Bravo pour tout ça, belle dame. ♥
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Merci Nathalie ! Il est vrai que garder le moral est très important pour s’en sortir. J’ai été très soutenue, cela a beaucoup joué. Bises à toi !
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Quel bel article sur ce sujet. Merci. C’est vrai que lorsqu’on a la chance de recevoir un courrier qui nous invite à faire cette mammographie il faut la saisir (tout comme le dépistage du cancer du colon d’ailleurs). Bonne soirée à vous.
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Merci à vous ! C’est un sujet sensible et parfois partager son expérience peut aider des personnes à se faire dépister (quelque soit le type de dépistage) et aussi, peut-être, à reprendre courage. Merci de votre passage ici ! ❤
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