I.A. de l’eau dans l’Art

(en photo, mes essais d’aquarelle d’après tutoriel. Oui, c’est nul mais c’est moi qui l’ai fait !)

Billet énervé, désolée. Je suis cool d’habitude mais bon…

Il y a quelques jours, je me trouvais à réseauter gentiment pour les Aventuriales lors d’une réunion conclue par un buffet-déjeuner fort plaisant.

Nous avions tous des badges avec nos noms et qualités afin de faciliter les échanges. Pour les Aventuriales, j’ai coiffé l’an dernier une casquette de chargée de relations avec la presse. Le monsieur qui choisissait ses toasts à côté de moi était rédacteur en chef pour un magazine web, nous fîmes donc connaissance.

Il me montre un de ses articles sur son téléphone et je sursaute en voyant les illustrations : je pose ma question préférée d’un ton inoffensif : « c’est qui, l’illustrateur ou l’illustratrice ? ».

« Ah ! Mais c’est fait par IA. Vous savez, c’est génial, je peux illustrer tous mes articles comme ça. C’est gratuit et rapide ».

Je ne m’énerve pas, j’essaie de garder un ton sympa vu que nous partageons le même goût pour les muffins cantal/noix.

« C’est dommage pour les illustrateurs professionnels qui vont finir par ne plus trouver de boulot », je fais remarquer en scrutant le gars, avec, je l’avoue, l’air moins innocent.

« Bah vous savez, hein, c’est le progrès. D’ici 5 ans, on sera tous remplacés par des IA ». Pas plus inquiet que ça.

« Bla bla, les boulots vont évoluer, bla bla, faut accompagner la techno, etc ».

Devant mon air sceptique et sans prêter attention à mes protestations en mode « les textes écrits par des IA se ressemblent tous et c’est de la m… », il me dit « je vais vous raconter une anecdote. Pour l’anniversaire de ma sœur, j’ai demandé à XXX (me souviens plus du nom de l’IA et je n’ai pas envie de m’en souvenir) de m’écrire un discours. J’ai rédigé les prompts, j’ai donné des anecdotes personnelles la concernant, et j’ai demandé un texte à la Victor Hugo. Eh bien, l’IA l’a écrit, je l’ai lu, et ma sœur en a pleuré ! » (on l’entend, le ton triomphant, là ?)

Donc on se résume : pour émouvoir et faire plaisir à une personne chère, il n’est plus nécessaire de se creuser la tête, de se forcer un petit peu : on demande juste à un robot de le faire, en lui livrant au passage quelques récits personnels en pâture.

Ça m’a laissée comme deux ronds de flan. Et je suis allée, plus loin, prendre un dessert (même deux ou trois, il fallait ça, et pas mal de café pour faire passer le goût amer qu’avaient pris les muffins).

Sous-traiter à une machine l’expression de ses sentiments, le fond de son amour, l’affection que nous portons à nos êtres chers !!! Franchement, cette histoire m’a sciée. Et j’y pense encore en écrivant ses lignes (du coup je l’enferme dans ce billet)

Je comprends très bien que l’IA fascine de par les possibilités offertes, voir entre autres initiatives le festival de cinéma utilisant l’IA qui va avoir lieu en novembre prochain.

Mon avis ? On s’en fatiguera comme on se fatigue des images de synthèse au ciné (perso, ça ne m’intéresse plus. Je ne vais plus voir un film pour les effets spéciaux). Aucune limite ? Plus besoin d’acteurs, on pourra même ressusciter les morts pour un tour de manège supplémentaire (ça a déjà été fait : tiens, un peu de méditation guidée par James Stewart, dont la voix a été recréée par IA ?

Allez voir sur Google : on vous propose de l’IA pour tout faire.

Tout ? De l’Art, passe encore, mais dans la presse, hum ? ….  A l’heure de la désinformation répandue par les complotistes, escrocs et autres platistes, si on peut cloner n’importe qui et lui faire dire n’importe quoi, fabriquer n’importe quelle image et diffuser ça en reproduisant le logo des grands journaux…. Je veux bien rester décontractée, mais cela me semble très dangereux pour nos sociétés.

Vous comprenez maintenant pourquoi l’idée qu’un journaliste utilise l’IA pour illustrer un article me fait dresser les cheveux sur la tête ?

Et on peut aussi parler de reconnaissance faciale sur l’espace public, etc… liberté, liberté chérie.

On me dit « ah mais, si tu voyais les images qu’on obtient, on n’a jamais vu ça ». Bah, allez donc vous nourrir l’esprit dans un musée d’art contemporain ou une galerie, vous serez surpris. Parce que l’IA n’invente rien, elle exécute des requêtes. Cela ne fait pas de l’IA un artiste, pas plus que ne l’est celui ou celle qui a écrit le « prompt » et qui a fait l’impasse sur l’étape : passer dix ans à observer le monde et à exercer sa main.

L’IA a été nourrie de ce qui a été publié sur internet, sans l’autorisation des artistes et sans qu’ils et elles soient rémunérés pour ça. L’IA produit des résultats grâce à ce vol. Ce n’est pas parce que des œuvres d’artistes sont présentes sur le net (par ex sur des blogs ou pinterest) que cela autorise des sociétés à piller ça pour fabriquer des images artificielles.

Et des auteurs voient arriver sur des plate-formes de vente en ligne des livres usurpant leurs noms, écrits par des IA :

D’ailleurs une « class action » est en cours de la part des artistes aux Etats-Unis :

Et ils se défendent en intégrant des pixels invisibles à l’œil humain pour gêner l’IA grâce à des logiciels comme Glaze :

Je continue ?… j’ai du mal à rester cool à ce sujet, vous voyez.

L’Europe commence à s’agiter sur le sujet, sans tellement se préoccuper du droit d’auteur, hélas.

On m’objecte aussi que c’est le progrès, que l’électricité aussi, personne n’en voulait et bla bla…

J’aime la peinture, le cinéma, la sculpture, la danse bien sûr, la musique, la photo, la BD… tout ça, ce sont des êtres humains qui les ont inventés et chaque œuvre contemplée m’a aidée à me construire (même celles que je n’ai pas aimées). J’ai autant admiré les œuvres que la ténacité, l’engagement, le travail acharné des artistes et ce que leur Art disait d’eux.

J’ai aimé comment ces œuvres m’ont parlé et parfois m’ont fait pleurer d’émotion (le Boléro de Maurice Béjart dansé par Jorge Donn, ou mon premier ballet classique vu à la télé, dansé par Noëlla Pontois, quand j’avais une dizaine d’années…)

Et non, la photo n’a pas tué la peinture, ce sont deux techniques différentes ; il y a toujours des peintres et il y a des photographes. Et le cinéma n’a pas tué le théâtre, ce sont également deux arts différents (on peut m’objecter que le cinéma parlant a tué le cinéma muet, et c’est vrai que les artistes ont dû s’adapter pour passer de l’un à l’autre, c’est un peu l’exception dans mon discours, même si on parlait toujours de cinéma)

Allez, un petit sujet de philo à ma sauce. J’ai toujours été nulle en philo mais je vais essayer de me forcer un peu. Qu’est-ce que l’art ? Pour moi, c’est l’expression de l’âme humaine, de ses tourments ou de ses joies, de ses interrogations. C’est une main tendue vers l’autre (on fait rarement de l’art pour soi tout seul) en lui disant « Voilà ma pensée ». C’est parfois surprenant, dérangeant, drôle, voire illisible mais toujours intéressant. J’ai emmené récemment mon plus jeune fils au centre Pompidou d’art moderne, il a adoré. Je n’irai pas dire qu’on a tout compris, mais nous sommes ressortis en nous promettant de revenir terminer la visite (c’est une mine, c’est formidable, je n’y étais pas revenue depuis très longtemps mais ce musée est génial).

Bref, l’art c’est humain.

Alors, je vais conclure ce long billet énervé avec trois paragraphes :

  1. J’ai 60 ans cette année (bah oui, toujours là et en forme !!) et je m’attends à quelques surprises, genre un petit discours ou message sympa ou rigolo. Mais vraiment, si vous voulez le faire, déjà rien ne vous y oblige si vous n’avez pas le temps ou si vous pensez ne pas en avoir le talent. Si vous vous lancez, par pitié et par respect pour moi : écrivez-le vous-même. Il me touchera si c’est vous qui le faites, même s’il est maladroit, au contraire. C’est le supplément d’âme que vous y mettrez que je reconnaitrai. Je saurai identifier votre patte. Ne livrez pas ma vie ou les dossiers que vous pouvez connaître à mon sujet (hi hi, oui, il y en a quand même…) à une IA. (Bon, je connais mes amis et amies, et ils ont assez de talent et d’humour pour ne sous-traiter cela à personne)
  2. J’écris mes textes, romans, nouvelles, billets de blog, etc avec mon cerveau et mes doigts. Je fais des recherches sur certains sujets en utilisant internet et peut-être utiliserai-je à l’avenir une IA pour certaines recherches (pour le moment, Google me suffit et j’ai aussi beaucoup de livres de doc), mais ce n’est pas une machine qui écrira mes bouquins à ma place. Je n’ai pas besoin d’une machine pour me donner des idées, merci. Je trouve bien plus intéressant de me creuser la tête. C’est bon pour la santé du cerveau, au fait, de se forcer à réfléchir, je vous jure que ça ne l’use pas. Il est fait pour ça, nom d’un chien !…L’écriture est un art et un artisanat mais je ne suis pas une productrice de mots à la chaine. J’écris par plaisir, pas pour laisser la créativité à une machine. J’écris par besoin viscéral et ce n’est pas une machine qui satisfera ça. Je n’écris pas pour devenir célèbre, en fait je m’en fiche pas mal, j’écris pour toucher les lecteurs avec de l’émotion que j’aurai créé de mon mieux avec mon cœur et mes tripes. Des émotions humaines. Voilà, c’est dit.
  3. J’aimerais, à l’avenir, être informée de la façon dont les livres qu’on cherche à me vendre sont écrits et illustrés. J’estime que c’est mon droit de lectrice. Corollaire de ce qui précède, je refuse de perdre mon temps et mon argent à lire un texte fabriqué par une machine (surtout si on a la prétention de me faire pleurer avec…. Non, franchement, je ne m’en remets pas). Je ne critique pas celles et ceux qui y trouvent leur compte, mais je ne veux pas de ça dans ma bibliothèque. Et à l’argument selon lequel « Tout le monde va s’y mettre », ben vous garderez vos …. « livres » pour vous, je n’en veux pas. Au fond, ma bibliothèque est assez fournie, j’ai de quoi lire et faire lire ma famille pour une vie entière sans plus rien acheter. Je continuerai à suivre les auteurs et autrices dont je connais les méthodes de travail et les maisons d’édition en qui j’ai confiance, mais autrement, ce sera sans moi. Bah oui, à 60 ans, j’ai le droit de dire m… à l’IA.

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