
Marie Latour m’a fait le grand plaisir de m’envoyer son recueil de nouvelles paru aux éditions Malpertuis. Je viens de le terminer et le moins que je puisse dire, c’est qu’il m’a remuée.
Le titre et la quatrième de couverture annoncent la couleur : il y sera question de l’enfance, de ce que l’on peut y vivre, de ce qu’elle fait vivre aux autres. Bien entendu, ne vous attendez pas à des récits attendrissants et encore moins mièvres. Ces textes, pour la plupart courts (souvent de 3 ou 4 pages), percutants, laissent des traces derrière eux et sont rarement optimistes.
La présentation de l’autrice parle de récits viscéraux, je confirme. Âmes sensibles, s’abstenir. On y parle de tout ce qui choque concernant les enfants, de ce dont ils peuvent être victimes ou coupables, mais aussi de maternité non désirée, de paternité indigne, des non-dits, des secrets, de la charge mentale des femmes, des difficultés à devenir mère au quotidien sans s’oublier soi-même, de la place des hommes dans la vie des enfants : ceux qui l’assument et la souhaitent, ceux qui la fuient, ceux qui en profitent.
Pour autant, aucune scène de violence n’est gratuite, aucune complaisance : Marie Latour dit ce qu’elle a sur le cœur et sa révolte, sa colère, son chagrin, parlent aux nôtres. Sa plume fiévreuse fait ce qu’il faut pour marquer, ce qui n’exclut pas de vrais moments d’émotion et de poésie. Entre deux coups dans le ventre.
Voici une petite revue par texte :
La maison de papier : une entrée en matière saisissante, d’une grande maîtrise dans l’écriture, agile et qui donne le ton. Deux pages coup de poing.
Le chat de Schrödinger : une des nouvelles les plus longues, étranges, surréaliste presque, où un physicien rendant visite à sa vieille mère constate de drôles de phénomènes.
Au nom de la mère : un texte éprouvant et fort, une histoire de naissance non désirée dont je ne dirai rien de plus pour ne pas divulgâcher. Il ne laisse pas indifférent.
Échec et mat : Monsieur Eindrics est professeur d’échecs. Monsieur Eindrics se demande pourquoi il est enfermé dans une cave. Monsieur Eindrics finira par comprendre. Trop tard.
Grand-père : une nouvelle écrite comme un conte sur une petite fille et son grand-père. Une histoire émouvante.
Aïda : une histoire d’amitié enfantine toxique. Glaçante.
Les 1001 fantômes d’Héline : le titre est un clin d’œil à un de mes auteurs préférés, Alexandre Dumas ; une chouette histoire de maison hantée.
Harlem ghetto : encore une nouvelle coup de poing où les morts ne le sont pas tout à fait, et restent les témoins du peuple noir d’Amérique.
Tuer la mère : une histoire à l’humour très noir, avec un petit côté Evil Dead.
(Ré)unis : où la maternité se fait angoisse, possession, folie.
Berlin rouge : où l’enfant fruit d’un viol ne trouvera pas grâce aux yeux de sa mère dans le Berlin de la fin de la guerre.
L’ombre furieuse : où une petite fille se sent plus que dépassée par ses rages et ses colères.
Domus corpus : une histoire qui me rappelle un peu les animaux-ville de JC Dunyach. Originale.
Humain, trop animal : le sujet est dans le titre. Une histoire un peu classique.
Nostalgie : une très belle histoire sur le temps qui passe et… si on pouvait rembobiner le fil ?
Mea culpa : changement de ton très net avec cette longue nouvelle racontée à la première personne. Une boucle narrative où un anti-héros paumé a un rendez-vous avec un type à qui il doit de l’argent, mais finalement… s’il n’allait pas au rendez-vous ?
Jusqu’à la mort : une autre nouvelle dure où l’on suit les pensées d’une mère… je vous laisse découvrir.
L’enfant : un conte surréaliste, là aussi, très court.
Le sergent Bouchard : raconté du point de vue d’un militaire, une sombre histoire un peu en dehors du sujet du recueil, sauf si on considère l’armée comme une grande famille…
Grand-mère : comme la surprotection d’un enfant peut lui couper les ailes, combien il est important de le laisser partir pour mieux revenir.
Le chiguane : où le désir d’enfant non assouvi peut se transformer en passion pour les animaux…pas mal d’humour noir ici, et de tendresse.
L’absence : une terrible histoire de vengeance d’outre-tombe.
Les heures d’Elyranthe : très bonne histoire, sûrement la meilleure concernant la charge mentale (boulot, enfant, taches ménagères…) du recueil. Terrible. L’ombre du burn-out rôde sur cette nouvelle.
Les escarpins rouges dorés : un dernier texte pour la route… ou plutôt pour le trottoir. Elle me fait un peu penser à Cendrillon, la chanson de Téléphone…
Une nouvelle fois, je suis impressionnée par la qualité d’un recueil paru chez Malpertuis. Outre la beauté de l’objet-livre (la couverture de Philippe Jozelon est superbe), les textes sont d’une parfaite pertinence pour notre monde contemporain, ancrés dans une triste réalité, mais enrobés dans cette aura de fantastique que j’aime depuis l’adolescence.
Un bien beau cadeau que m’a fait Marie Latour. Encore une fois, merci à elle !