J’ai passé la cinquantaine et je fais donc partie de cette étrange génération qui a vu l’arrivée sur son lieu de travail de ces bébêtes que sont les messageries électroniques, les téléphones mobiles, internet. J’ai connu l’avant et je suis, comme vous, en plein dedans maintenant.
J’ai dû avoir mon premier email professionnel il y a une vingtaine d’années, et un accès internet quelques années plus tard. Ma société se méfiait de ces outils susceptibles de sortir les salariés de leur travail, je pense. Je ne me souviens pas quand son premier site internet a été en ligne. Cela me paraît remonter… au siècle dernier.
A cette époque, la seule interruption qu’on pouvait avoir lors d’une session de travail était une visite physique d’une personne ou le téléphone. Je bossais dans un service clients et il sonnait toute la journée : normal, c’était l’outil pour les commandes, avec le fax, le minitel et parfois même le télex. Ces trois derniers outils se trouvaient dans une salle à part.
Oui, j’ai connu tout ça.
Mais une fois ma porte fermée, rien ne me dérangeait si j’avais besoin de traiter un dossier un peu compliqué. Les employées qui s’occupaient des commandes ne venaient me voir qu’en cas de problème et comme elles connaissaient très bien leur métier et les clients, cela n’arrivait pas si souvent.
Je produisais bien et vite du dossier et dans les temps.
Quand j’avais besoin d’appeler un collègue aux USA, je l’appelais au téléphone et si je devais lui envoyer un courrier pour signature, ça prenait l’avion. Ben oui.
Aujourd’hui, mon téléphone est asservi à mon ordinateur qui est portable, j’ai une messagerie instantanée, et une boite mail monstrueuse que je dois classer par dossier. A une époque, je militais dans mon entreprise pour qu’on cesse de stocker des emails, qu’on ne garde que ceux qui étaient vraiment utiles et qu’on imprime les documents importants pour des raisons de sécurité et d’audit : je me disais qu’un jour toute cette électronique nous lâcherait et qu’on perdrait tout notre boulot. Et qu’en plus c’était vraiment le souk pour retrouver quelque chose. Bref.
Aujourd’hui, je fais comme tout le monde, ma messagerie est un énorme machin, et encore, j’arrive à lire et à traiter à peu près tout ce que je reçois par jour.
L’autre jour, j’ai fait une réunion avec une personne à Paris, une aux USA, deux autres ici avec moi, et nous avons discuté avec deux téléphones : un fixe qui hébergeait la salle de réunion virtuelle où nous partagions les mêmes documents et travaillions sur le même système informatique et un mobile pour recevoir des instructions par ailleurs, le tout sur un même sujet. Ces outils sont fabuleusement puissants, je ne dis pas le contraire, mais parfois je me dis que c’est une gymnastique mentale effarante que de faire autant de choses en même temps. Discuter, en prenant des notes, en cherchant des informations, en réfléchissant… au bout d’un moment, j’ai envie de dire stop et de demander, de grâce, cinq minutes pour arrêter de foncer droit devant moi.
Ajoutez à cela le téléphone mobile qui vous suit en permanence, avec les SMS, et je ne parle même pas des réseaux sociaux…
Je me suis rendu compte depuis quelque temps que j’ai du mal à me concentrer. Je me demande si cette recherche effrénée de la vitesse, comme si nous, humains, étions capables de rivaliser avec les ordinateurs, n’est pas en train d’avoir un impact sur mon cerveau, sur sa façon de travailler et je dois dire que ça m’inquiète. J’ai du mal à travailler sur des dossiers suivis parce que je suis souvent dérangée, par les emails, la messagerie instantanée et parce que mes interlocuteurs ont perdu l’habitude d’attendre une réponse. On doit tout faire tout de suite. Et moi, je commence plein de trucs que j’ai du mal à terminer, au boulot tout du moins.
Au commencement était la vitesse… (merci, monsieur Damasio)
J’ai fait récemment une mini-résidence d’écriture avec des proches le temps d’un week-end. J’y ai retrouvé ma concentration et ai pu avancer dans mon travail de correction de roman grâce à de longues plages de tranquillité. Mais dans la vie courante, ce genre de situation ne se présente pas souvent. Les auteurs qui ont un autre métier à côté doivent jongler avec leur temps libre pour consacrer, ici ou là, un temps à leur écriture. Je dois dire que j’ai du mal à entrer dans mon histoire à moins de disposer d’au minimum 45 mn à moi (vraiment à moi) et je n’arrive pas à produire beaucoup.
Les auteurs plus aguerris que moi expliquent que c’est une question de régularité, que plus on écrit, plus c’est facile, et je suis d’accord. J’écris plus facilement qu’avant. Mon problème est d’entrer dans l’histoire, dans le moment où je dois la continuer. Typiquement, quand j’entame une séance d’écriture, je relis ce que j’ai fait lors de la séance précédente, en profite pour corriger des choses, et cela me permet de retrouver mes marques et d’entrer dans l’histoire (en oubliant mon quotidien, mes soucis, les associations dont je m’occupe, etc). Cela me fait un peu penser à ce que j’ai appris récemment sur la méditation pleine conscience : être présent à ce que l’on fait, au moment où on le fait. Il faudrait que j’arrive à être présente à mon écriture, y compris quand ça coince, quand la phrase ne vient pas ou quand ce que j’écris ne me plait pas. Y compris quand je n’ai que peu de temps à y consacrer. Ce que j’appelle la concentration instantanée.
Je profite en ce moment d’une pause salutaire dans ma vie connectée. Je prends le temps de fabriquer des choses de mes mains : une brioche, tiens, levait ce matin près de mon radiateur. École de patience, la brioche. D’abord le levain, ensuite l’incorporer à la pâte. Première levée. Battre la pâte à la main (oui, j’aime y mettre les mains, point de machine chez moi, comme faisait ma mère). Faire lever de nouveau. Stocker au froid et attendre le lendemain pour faire lever à nouveau et cuire. Quel temps passé à attendre (et à fabriquer autre chose pendant ce temps) ! Juste le temps que la préparation se fasse par une alchimie traditionnelle.
(Belle, hein ?)
Pour l’écriture, c’est un peu pareil. Je viens de passer quelques jours à attendre que la pâte monte dans ma tête. Et des logiques me sont apparues, dont je n’avais pas encore pris conscience, à l’intérieur de mon histoire. Plusieurs jours sans écrire, à juste laisser le cerveau faire son alchimie, à m’inquiéter aussi (est-ce que ma pâte va bien lever, finalement?) m’ont aidée à y voir plus clair et à trouver la dynamique dont j’avais besoin. Néanmoins, à la base de cette avancée, il y a eu le calme, la mise de côté de problèmes que je retrouverai à la rentrée, je le sais, mais que j’ai volontairement ignorés pour me réserver de longues plages pour mes proches, pour moi et mon écriture.
La concentration, n’est-ce pas se retrouver soi-même, finalement ?
Oh la la, quel article passionnant !!!! ♥♥♥ J’ai a-do-ré et suis 100% d’accord avec toi. La méditation en pleine conscience nous aide à réaliser que nous sommes vraiment sur-sollicités et impatients, et, comme toi, je suis convaincue que les nouvelles technologies peuvent être aussi précieuses (et je ne pourrais plus m’en passer !) que néfastes si on ne s’oblige pas à se couper d’elles de temps en temps.
Bref, un super article que je recommande chaleureusement ! 🙂
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Merci Nathalie ! J’aurais moi aussi du mal à me couper complètement du réseau. Je sais que je n’aurai pas réussi, par exemple, à améliorer mon écriture sans internet, qui m’a permis de rencontrer tant de gens pour m’aider et tant de bons bouquins ! 😉 Merci pour ton passage et ton soutien ! ❤
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Complètement d’accord avec toi ! C’est un constat qui me heute depuis un certain temps, à quel l’hyper-connection nous aliène, d’une certaine manière, en nous obligeant à un tempo anti-naturel. Et en nous obligeant à rester à la surface (des choses étudiées, de nos sentiments, de nos ressentis physiques). Il faut apprendre à « décrocher », mais c’est plus facile à dire qu’à faire !
Et par parenthèse, ta brioche a l’air délicieuse, la nuit au frigo il n’y a que ça de vrai ! Je trouve important le fait de pétrir à la main, d’une certaine manière ça me reconnecte avec la lenteur, tu vois ce dont je parle? Si tu es intéressée par une recettte de pain au levain et/ou du levain liquide, fais-moi signe.
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Oui, pas toujours facile de lâcher le Réseau, mais c’est satisfaisant quand on y arrive ^^ Ne serait-ce que le plaisir de prêter attention à de petites choses de la vie. 🙂
Merci pour la proposition de recette, je veux bien ! (toujours intéressée par les recettes, moi ! )
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